Elise :
Quel est ton parcours au niveau du yoga, comment es-tu venu au yoga et pourquoi es-tu devenu professeur ?
►Pierre :
Cela s’est fait par hasard ! Mais j’aimerais tout d’abord préciser que ce ‘’petit entretien’’ informel n’a d’autre ambition que de partager une expérience personnelle, comme un message d’espoir que le yoga peut apporter à toute personne en difficulté.
D’esprit plutôt cartésien, je n’étais pas particulièrement attiré, par nature, par le yoga. Ce sont des problèmes de santé, d’asthme, qui m’ont orienté tout naturellement vers cette discipline, par l’intermédiaire de mon médecin généraliste en qui j’avais toute confiance. C’est lui qui, un jour, m’en a parlé pour la première fois en me disant que cela pourrait sans doute m’aider et en m’indiquant le nom d’une professeure de yoga dont il avait entendu dire ‘’beaucoup de bien’’. Il avait ajouté que le yoga s’accompagnait d’une certaine philosophie, à laquelle il ne semblait pas attacher d’importance particulière… ! Cette philosophie, que j’enseigne aujourd’hui, je l’ai découverte bien des années après, à partir du moment où j’ai commencé à former moi-même des enseignants en yoga. Il faut vraiment l’étudier, l’approfondir, pour en comprendre l’essence. Mais ce médecin a joué un rôle fondamental dans ma vie et je lui en suis profondément reconnaissant. Il a été, en quelque sorte, le « vecteur » qui m’a permis de découvrir des choses essentielles dans la vie par le biais du yoga.
Je suis donc allé voir cette dame, et dès les premiers cours j’ai senti que cela me convenait, pouvait effectivement m’aider car cette discipline, où l’esprit est constamment sollicité pour observer les mouvements du corps en synchronisme avec la respiration, n’est plus libre d’aller là où il veut, orienté vers quelque chose de précis. Au début, cela demande des efforts, bien sûr, puis l’intérêt pour ce que l’on observe s’affirme, on se ‘’prend au jeu’’ et on se détourne petit à petit de ses pensées habituelles. La préoccupation et l’inquiétude, liées à la maladie s’estompent, et il en résulte un apaisement de l’esprit durable. Cela m’a beaucoup aidé à réduire les effets de cette gêne respiratoire, jusqu’au jour où la maladie s’est éclipsée brusquement, ce qui fut confirmé par la médecine… ! Voilà un exemple concret de la puissance du mental sur le corps. Le yoga a également ce ‘’pouvoir’’ là !
Quelques années après, cette femme a quitté la région, remplacée par une autre professeure qui est partie à son tour peu de temps après. Le hasard m’a fait rencontrer une autre professeure encore, dont le rôle a alors été déterminant. Une sorte de stratégie des évènements se mettait tout doucement en place, telle qu’elle est décrite dans l’un des principaux textes fondateurs du yoga, les ‘’Yoga Sutra’’ de Patañjali : « Tous les actes d’une vie sont liés et ne constituent qu’une suite ininterrompue, même lorsque les faits semblent n’avoir aucun lien entre eux ». Ce problème de santé, les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer dans ma vie, des changements dans ma vie professionnelle, m’ont amené progressivement là où j’en suis aujourd’hui. Cette nouvelle professeure m’a parlé d’un stage de yoga dont le thème était la Yogathérapie (Cikitsa), animé par un certain Monsieur Claude Maréchal, Directeur et fondateur de l’école E.T.Y. (Etude et Transmission du Yoga) : un stage fascinant, plein de découvertes et d’enrichissements. Dans le prolongement de ce stage, une formation à l’enseignement du yoga débutait quelques jours après, assurée par ce même enseignant, à laquelle je me suis inscrit sans hésitation, comme quelque chose d’évident ! J’éprouve une profonde gratitude pour ce Monsieur, dont l’enseignement m’a nourri pendant sept longues années d’un apprentissage passionnant, pour lequel je n’étais pas prêt, mais qui m’a permis de prendre conscience de beaucoup de choses. Ensuite, j’ai eu très tôt la chance que l’on me propose de prendre en charge deux cours de yoga, alors que nous n’étions encore qu’au début de notre formation, avec l’accord du Directeur et supervisé par une professeure confirmée. Ce fut une véritable révélation ! Jamais je n’aurais imaginé autant de bonheur et d’apaisement en enseignant, en retransmettant, cette discipline.
Les années qui suivirent furent jalonnées (et le sont encore !) d’innombrables stages, la plupart animés par Claude, en France, en Belgique, en Italie. Plusieurs stages également en Inde, au KYM (Krishnamacharya Yoga Mandiram) de Chennai, un centre de yoga-thérapie et de formation à l’enseignement du yoga créé par M. Desikachar, en l’honneur de son père, M. Krishnamacharya, qui eut une influence considérable sur la retransmission du Yoga dans le monde. C’est cet enseignement que nous retransmettons aujourd’hui par l’intermédiaire de Claude Maréchal qui a eu le privilège de le recevoir directement de M. Desikachar pendant quarante longues années.
►Elise :
Comment vient-on au yoga ? Que fait-on dans une séance de yoga ? Peux-tu expliquer ce qui se passe, physiquement, mentalement ?
►Pierre :
On pourrait dire que cela fait souvent suite à une souffrance ou une épreuve de la vie. Cela amène à réfléchir, à se poser des questions, « pourquoi moi ? », « qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça » ? Lorsqu’on traverse des moments difficiles on cherche à comprendre, on veut aller au fond des choses. Le yoga peut être une solution. Pour peu qu’on en ait entendu parler, sans même savoir exactement de quoi il s’agit, quelque chose d’indéfinissable qui nous attire. Lorsque les gens téléphonent pour avoir des renseignements, ce sont souvent les mêmes mots qui reviennent : « se détendre », « calmer son esprit », « enlever le stress » ! Mais il y a bien d’autres choses derrière ces mots, quelque chose de mystérieux, quelque chose qui ‘’attire’’ sans que l’on comprenne bien pourquoi.
Maintenant, comment se passe une séance de yoga ? Ce sont des postures, c’est-à-dire des mouvements précis du corps, synchronisés sur une respiration ‘’contrôlée’’, longue, fluide, à l’aise, avec des rétentions du souffle poumons ‘’pleins’’ et ‘’vides’’, et au cours desquelles l’esprit observe en permanence tout ce qui se passe dans le corps : les appuis sur le sol, la justesse de l’effort (celle qui n’abîme pas !), tous les relâchements possibles, une attention continue de l’esprit qui se libère peu à peu de ses pensées. En fait, les postures ne sont jamais qu’un support d’attention pour le mental, le yoga est un outil pour aller vers une certaine maîtrise de l’esprit.
►Elise :
A propos de la philosophie du yoga : quelles sont les idées « phares » qui sous-tendent cette philosophie ?
►Pierre :
Il y a plusieurs textes, très anciens (plus de 2000 ans), faisant état de la philosophie qui sous-tend ce travail postural, mais le texte de référence incontestable est le traité appelé les ‘’Yoga Sutra’’ de Patañjali, auteur supposé de ce traité. Ecrit sous forme de concepts, les ‘’Sutra’’ qui, comme tout ce qui est conceptuel, sont d’un abord un peu énigmatique, nécessitent d’être expliqués à partir des mots sanscrits du texte, puis d’y réfléchir en y revenant souvent, mais au bout de cet effort on en découvre l’essence, comme une révélation, qui permet de comprendre beaucoup de choses fondamentales de la vie. Les pratiques de yoga, faites régulièrement et de façon adaptée à soi, favorisent cette compréhension en préparant le corps et l’esprit. Pour résumer cette philosophie, elle ne propose rien d’autre que de s’exercer à contrôler son esprit, à l’orienter complètement vers un ‘’objet’’ d’observation, sans aucune distraction, afin de le ‘’voir’’ tel qu’il est, sans l’interpréter en fonction de notre personnalité, ce que l’on fait inconsciemment et nous empêche de voir la réalité du monde et de nous-même.
►Elise :
Et dans tes cours, est-ce que tu essaies de distiller un peu ces idées philosophiques ?
►Pierre :
Oui, mais de façon discrète et non intrusive. Par exemple, en évoquant ces notions d’effort juste et de relâchement juste, en rappelant que les postures ne sont qu’un support d’attention mentale sur le corps et la respiration, en incitant à observer sur soi-même les effets des postures, etc…
►Elise :
Et pour toi, dans ta vie de tous les jours, le yoga ce n’est pas seulement aller sur ton tapis faire un travail de respiration et de postures… ? Est-ce que ça vient aussi impacter ta vie quotidienne ?
►Pierre :
Oui, c’est très clair, de faire tous ces mouvements en se concentrant sur tout ce que l’on ressent dans son corps (ce que l’on appelle la proprioception, l’intéroception et l’extéroception), cela ‘’s’imprime’’ dans les cellules, les muscles, les articulations, le cerveau et cela modifie beaucoup de choses au niveau personnel. Par exemple avant de découvrir le yoga, j’avais une énergie en ‘’dents de scie’’, parfois en forme et à d’autres moments avec très peu d’énergie. La pratique régulière du yoga a harmonisé cette énergie et, depuis longtemps, il ne m’arrive jamais de connaître ces périodes d’abattement. Cela peut paraître un peu mystérieux, mais c’est un fait réel que l’on constate sur soi, on pourrait presque dire une constatation expérimentale.
►Elise :
Cela s’est fait tout seul ? Ce n’est pas un effort que tu as fait spécialement pour obtenir ce résultat… ?
►Pierre :
Dans le yoga il y a une notion très importante ; se détacher du ‘’fruit de l’action’’, ne pas attendre un résultat quelconque. Cela permet d’être plus détendu, et l’action menée pour aller vers ce résultat est plus efficace, précisément parce qu’il n’y a pas de crispation mentale par rapport au résultat. Pas facile à comprendre mais pourtant très réel !
►Elise :
Depuis que tu as commencé à enseigner, est-ce que tu vois une évolution en termes de fréquentations, de problématiques, du profil des personnes qui viennent pratiquer etc… ?
►Pierre :
Oui, une évolution considérable en termes de nombres de participants et d’implication des personnes dans leur pratique. Cela traduit probablement les difficultés actuelles de la vie, le stress, la fatigue et l’incertitude du lendemain. C’est sans doute aussi la raison pour laquelle toutes ces disciplines, qui impliquent à la fois le corps et l’esprit, connaissent un tel développement depuis quelques années, voire un engouement. Toutes les catégories sociales et d’âge sont concernées. Pour pouvoir vraiment aider toutes ces personnes, il est nécessaire de s’efforcer de développer des qualités humaines de compassion, de respect, d’empathie et d’observation, afin de percevoir les difficultés des personnes dans les postures de façon à leur proposer, s’il y a lieu, des adaptations de postures (c’est le sens du mot « Viniyoga »).
►Elise :
Et pour toi le yoga serait plutôt une pratique de bien-être, une pratique spirituelle, ou les deux ? Ou bien, ça dépend, chacun le fait à sa manière ?
►Pierre :
Merci de poser une telle question car elle est importante. Le yoga n’est pas une doctrine, encore moins une religion ou une morale, il ne porte aucun jugement et laisse chacun libre de croire à ses convictions. Il est accessible à toutes et tous, quel que soit l’âge, la culture, la croyance, le niveau intellectuel, les capacités physiques, il n’exige rien et ne propose qu’une chose : développer la capacité de concentration de son propre esprit de façon à le rendre libre, libre de toute influence, libre de percevoir la réalité des choses.
Fin de ‘’l’interview’’